salon de lyon et sud est

salon de lyon et sud est

Menu
HOMMAGE A GABRIEL GOUTTARD

HOMMAGE A GABRIEL GOUTTARD

Gabriel GOUTTARD, sculpteur, né quai Saint Vincent, à Lyon, en 1927, s’est laissé bercer par le spectacle de la Saône qui l’a durablement marqué.

 « Saône, ce soir, bleue et brillante, comme tu étais rouge et orange ce matin sous le soleil levant par-dessus les maisons qui se donnent la main ».

 

Il a du reste laissé une empreinte indélébile sur le quai Saint Antoine où se dresse une œuvre remarquable, qui enrobe le massif d’ancrage des câbles de soutien de la passerelle fixée en face du palais de justice. Cette œuvre, souvent qualifiée de « gros caillou » échoué sur le quai, est une prouesse technique conçue de sorte à maintenir l’accès au local technique, mais pas seulement. C’est l’expression d’un immense talent : 

« Sur 6m de longueur, 5 m d’envergure et 3,3 m de hauteur, réalisée en béton « loyal » privilégié par Le Corbusier, la création de Gabriel Gouttard obéit à des forme denses, compactes, un peu semblables à celles de Arp. Toutefois, le sculpteur lyonnais se veut plus charnel, moins conceptuel, plus présent 5(…) Il importe de féliciter la municipalité lyonnaise d’avoir commandé une œuvre monumentale à un sculpteur lyonnais et surtout d’avoir voulu illustrer un artiste dont le travail mérite de s’inscrire dans la mémoire de l’histoire ». René Deroudille Lyon Matin 20 janvier 1984.

Cette œuvre marque la consécration d’une carrière qui s’est construite à Lyon. Fils, petit fils et arrière petit fils de notaires, Gabriel GOUTTARD s’est affranchi des ambitions de ses parents qui auraient bien aimé le voir suivre des études de notariat et reprendre l’étude familiale située en plein centre de Lyon.

Mais tel ne fût pas le choix de l’artiste.

Mu par une sorte de passion, pourtant discrète, il s’est tourné vers l’école des beaux arts de Lyon et inscrit au département de la sculpture. La sculpture s’impose à lui comme une évidence et rien ne semble l’en détourner. Ni la facilité de vie qu’il aurait pu mener en suivant le modèle parental, ni les difficultés matérielles inhérentes à la vie d’artiste. Sa vocation était née.

Il fait son apprentissage sous l’égide deBertola, sculpteur lyonnais, lauréat du grand prix de Rome, qui ne l’a toutefois pas convaincu de tenter lui aussi le concours de la villa de Médicis.

Il s’est par contre porté volontaire pour assister Charles Machet, autre sculpteur lyonnais, dans la conduite du chantier consistant à tailler à même la roche, dans la montée du Cerdon, un gigantesque monument aux morts dédié aux maquis de l’Ain, acquérant ainsi une maîtrise particulière dans l’art de la taille.

Il s’est ensuite affranchi de ses maîtres et distancié des règles académiques de l’école, pour se lancer dans une aventure personnelle et donner naissance à une œuvre singulière qui ne laisse personne indifférent.

Il partage son atelier, alors situé à Champagne aux Monts d’Or, avec Jacques Boullier, son beau frère, futur directeur de l’école des beaux arts d’Aix en Provence, et ses convictions avec ses amis, peintres ou sculpteurs, parmi lesquels on peut citer Truphémus, Fusaro,Cottavoz, Adilon, Lachièze Rey, Durant,Poncet, Avoscan.

Son œuvre se caractérise, outre sa diversité (on compte plus de 800 sculptures), par sa douceur et ses formes arrondies, souvent qualifiées de « maternantes » par ceux qui la contemple. C’est une œuvre apaisante qui se laisse caresser par le regard et par la main. Peu importe la matière, le rendu est là.

Il travaille aussi bien le béton que la pierre, et rêve de marbre ou de bronze, pour réaliser des œuvres monumentales telles que celles de Henry Moore qu’il admire tant. Mais il n’en a pas les moyens.

Marié et père de famille, Gabriel Gouttard travaille désormais seul dans son atelier, attenant à sa maison située à Vaise. Il travaille sur commandes pour alimenter la famille (œuvres religieuses, pierres tombales, vitraux) mais sans renoncer à une œuvre plus personnelle qui laisse libre cours à son inspiration mais nécessite des heures de travail.

 Il travaille avec régularité, persuadé « qu’il sortira quelque chose » de ce contact avec la terre, matière première de ses ébauches, qu’il travaille sans cesse. Il travaille dans l’espoir de voir surgir un jour « un petit être », une chose singulière devant laquelle on s’incline et qu’on appelle une sculpture :

 « je suis très ennuyé d’avoir à dire quelque chose de cette statue parce que je crois n’avoir pas plus à en dire qu’une maman de son nouveau né : elle a fait ce qu’elle a pu…et moi aussi ».

 Il travaille, chaque jour, avec constance, gérant son temps en bon père de famille qui accompagne ses enfants, matin, midi et soir, à l’école, puis se rend, tantôt au CESI où il anime des sessions d’expression artistique, tantôt aux cours du soir de la ville de Lyon dont il assume la direction. Et il profite de ses trajets pour « se dégourdir un peu les jambes » et « méditer un peu ».

 Car, rien ne détourne l’artiste de son œuvre. Ni la présence des enfants qui aiment à se rendre à l’atelier, ni les sollicitations des galeristes, ni les préoccupations matérielles. Tout le ramène à la sculpture.

 Il se soucie moins de remporter des succès que de « laisser une œuvre qui trouvera peut-être un jour son public».  

 Il expose peu, préférant voir venir « ceux qui s’intéressent vraiment à son travail » à l’atelier.

 « Le sculpteur Gabriel Gouttard vous accueille à la porte du petit jardin où s’accumulent, comme une sorte d’alignement des premiers âges, un nombre impressionnant de sculptures monumentales.

La porte de l’atelier franchie, on découvre là encore d’innombrables pièces ».

L’hôte sourit. Sa réponse fuse avant la question : « c’est vrai, voici presque un demi-siècle de travail et peu d’amateurs ou de marchands se sont manifestés pour acquérir une de ces sculptures » René Deroudille 12 mars 1984

Mais, conscient de la valeur de son travail et encouragé par ses proches, parents, amis ou artistes, il ne renonce pas. Il participe de manière plus ou moins régulières à quelques salons ou expositions et tente de se faire mieux connaître :

-         salons du sud est à Lyon

-         salon d’automne à Privas

-         salons de la jeune sculpture à Paris

-         salon international d’art à Toulon

-         exposition des artistes lyonnais à Francfort sur le Main

-         salon contradiction festival de l’Américan Center For Students andArtists

-         « sculptures en liberté » à Lausanne

-   expositions vente Gabriel Gouttard à Lyon

 Grâce notamment à  la politique du 1% culturel érigée en faveur des arts plastiques, il voit la situation se débloquer et obtient des commandes publiques parmi lesquelles on peut citer la sculpture du collège Mauvert à Villeurbanne et celle d’un groupe scolaire à Décines.

Mais c’est peut-être la sculpture installée dans la cour de l’école des déficients visuels, rue de France à Villeurbanne qu’il faut retenir : c’est une œuvre majestueuse conçue de telle sorte que les élèves qui ne voient pas puissent s’en emparer. Ils s’y promènent, s’y installent, et se l’approprient au point de pouvoir la dessiner ainsi que j’ai pu le constater moi-même lors d’une rencontre avec l’un d’eux.

On peut encore voir quelques œuvres dans le jardin des plantes, sur les pentes de la Croix Rousse, ou dans la crypte de Fourvière et juger de la qualité de celles-ci.

Mais peu importe le jugement qu’on porte. Car, comme le disait l’artiste : « je ne suis pas là pour plaire, je suis là pour « créer une rencontre étrangère à la fascination, au scandale ou à la séduction, qui libre de l’artiste comme de l’autre, l’invite à la présence et à la liberté, chances d’autres rencontres, elles aussi créatrices ».

Il nous invite, tout simplement à regarder ses sculptures et à nous laisser porter par ce qu’elles suscitent ou éveillent en nous. Sans jugement, sans procès d’intention. Il s’agit moins de commenter que de se laisser prendre ou surprendre. Prendre le temps de regarder, prendre le temps d’écouter. Ecouter ce qui se passe en nous et accepter de se livrer aux émotions et aux interrogations qu’elle suscite en nous, ce débat étant le seul qui vaille aux yeux de l’artiste.

Pas besoin de critiques ni de louanges. Seule l’intensité de la rencontre importe et qui sait ce qu’il adviendra, avec le temps, de cette rencontre ? 

Car tout est possible. Il est possible que cette œuvre vous touche, maintenant ou peut-être seulement plus tard, comme on ne s’y attend pas.

« Ce que je vous demande simplement, parce que je sais bien qu’elle n’est pas faite pour plaire tout de suite à tout le monde, c’est de la contempler bien tranquillement, bien patiemment… quand on veut connaître quelqu’un, je crois qu’il ne faut pas essayer de l’assommer de paroles, de porter trop vite des jugements dessus. Il vaut mieux se taire un petit peu, et puis, l’écouter, le regarder, se laisser prendre, et puis, quand on est rentré en communion, on a alors des chances de se comprendre et de se rencontrer pour de vrai. »

 

 

On ne regarde pas une sculpture comme une toile. On la regarde. On la caresse. On tourne autour. On change de perspective. On tente une approche. Et cette approche est personnelle. 

Personnellement, je vois des formes qui suivent le cours de l’existence. Des corps qui se dressent, comme dans l’arrogance de la jeunesse, qui s’accouplent, qui s’arrondissent comme au temps de la maternité, qui s’épaulent comme dans un couple, qui se dispersent comme des enfants, et s’allongent comme au temps de la vieillesse, mais sans en être sûre.

Car je vois des formes incurvées qui se penchent comme des falaises sur la mer ou des rochers qui se reflètent dans l’eau.

Toujours est-il que je suis sous le charme et que je cherche à comprendre, à deviner. Preuve que l’artiste a réussi, car « cette statue n’est pas là pour que vous la regardiez, elle est là pour que vous vous en serviez (…) essayez de trouver ce qu’elle veut dire pour vous, (…) si elle ne vous dit rien, c’est peut-être que j’ai raté mon coup ;  c’est peut-être que vous n’avez pas été assez disponible, ce qui est possible ».

Car la force du travail est là. Gabriel GOUTTARD nous a laissé une œuvre riche et intime qui s’adresse à chacun d’entre nous. Une œuvre qu’il aime à qualifier « d’innommable » parce qu’elle ne se résume pas à un titre. Elle appartient à chacun d’entre nous et il nous appartient de lui donner le sens qu’on veut.

Son œuvre est à la fois limpide pour qui sait la deviner et énigmatique pour qui cherche un nom. Il se garde bien de lui donner un nom de peur que le titre n’enferme l’œuvre et parasite la relation : « si le nom de la personne peut l’ouvrir à la vie, le nom d’une œuvre risque de l’enfermer, car si le nom de la personne est appel, le nom de l’œuvre est sommation ».

Souhaitons toutefois que le nom de Gabriel GOUTTARD reste dans la mémoire collective et s’inscrive dans la liste des artistes qui apportent, les uns après les autres, génération après génération, une pierre à l’édifice du patrimoine artistique et culturel.

Françoise Gouttard